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Get Out – Analyse – Décryptage – SPOILERS et SHADES

“Get Out” est le premier thriller du réalisateur Jordan Peel. Depuis “Candyman” en 1992, je n’avais pas vu de films s’apparentant à l’horreur dans lequel un personnage noir joue un rôle principal.

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Logan AKA Dré, et le continuum de l’esclavage

La scène d’ouverture du film est celle d’un enlèvement. Celle du personnage d’André qui plus tard sera rebaptisé Logan. Dré déambule nuitamment dans les rues paisibles d’une banlieue riche. Le film fonctionnant sur un système de miroir, il est intéressant de noter l’apparence physique de André/Logan au début et à la fin. En ouverture, Logan arbore une barbe désordonnée et parle dans un langage courant. Au milieu du film, il troque sa barbe pour un rasage complet, coupe son afro, et change son style vestimentaire comme pour mieux se fondre dans le moule de l’acceptabilité blanche. Logan est par ailleurs coiffé d’un chapeau servant très probablement à dissimuler sa cicatrice frontale post-opératoire.

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On notera que l’entité blanche ayant pris le contrôle du corps De Dré ne maitrise pas les codes de communication intra-ethnique. Poignée de main au lieu du « check » (fist bump). Dénonciation du fait que Chris se sente en confiance à la vue d’une autre personne lui ressemblant etc.

La première scène du film pourrait très clairement s’apparenter à une razzia des temps modernes, compte tenu du fait que la thématique de l’esclavage mental est le pivot du film. Logan se fait enlever par Jérémy, le frère de Rose, à la façon d’un serf.  Et le terme d’esclavage n’est ici pas à prendre à la légère. De nombreux éléments dans le film tendent à renforcer cette notion de continuum temporel entre servitude passée et actuelle. L’architecture de la demeure Armitage a comme un arrière goût de maison coloniale. Elle finit d’ailleurs par disparaître sous les flammes à la façon d’un incendie criminel sur une plantation. Les personnages de Walter et Georgina servent de domestiques au foyer. Quant à la mise aux enchères de Chris, elle nous rappelle étrangement les marchés aux esclaves. La composante psychologique de l’esclavage, qui ne se limitait pas uniquement à briser les serviles physiquement. Mais également à briser mentalement les captifs à travers un processus de lavage de cerveau, est largement exploitée tout au long du film via l’image de “Sunken Place”.

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Le Cerf comme métaphore de l’âme noire

Dans la première partie du film, Chris fait ses bagages sous le regard transit de Rose qui le rassure quant à la rencontre avec ses parents. Ils prennent la route, Rose est au volant et renverse “accidentellement” un cerf. Chris tient à s’assurer que l’animal est sain et sauf. Rose est quant à elle impassible. La réaction de Chris suite à l’accident est polysémique. Elle fait écho au décès de sa mère, morte dans un accident de voiture et la culpabilité que ressent Chris d’avoir abandonné cette dernière. Elle fait également référence à un élément métaphysique.

En effet, la mort du cerf est un message avant-coureur. Ce n’est pas un événement anodin mais plutôt prémonitoire. Cette mort signale à Chris que son « noir intérieur »  est sur le point de disparaitre. Que la famille Armitage compte tuer le noir qui sommeille en lui.  Car le cerf (serf) est une anaphore de noir. Cet épisode prédit à Chris une mort métaphysique à venir.

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En effet, lorsque Chris fait la rencontre du père de Rose, Dean Armitage, une série de micro-agressions fait irruption.  Le père se lance dans une diatribe à l’encontre des cerfs. Selon lui, ces derniers envahissent la région et méritent très clairement d’être abattus. Ce sont des nuisibles. Il y a d’ailleurs  tout au long du film une métaphore animale liant le destin des cerfs à celui du peuple noir. Le terme “cerfs” pourrait très clairement être remplacé par “noirs” dans la bouche du père que ça ne dérangerait pas. Cette théorie selon laquelle le cerf représenterait le peuple noir viendra se confirmer par la suite lorsqu’une mouche viendra se poser sur la joue de Chris. Même mouche que l’on voit sur la carcasse de l’animal.

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Enfin, il est ironique de voir Chris tuer le Dean Armitage en l’encornant avec le cerf empaillé. “He is killing him with blackness”.

On notera aussi que l’animalisation de Chris passe par la narration. Rose sert d’appât, pour attirer la proie qu’est Chris. À la fin du film Rose utilise un fusil de chasse pour abattre Chris.

Insécurité et Micro-Agressions

L’autre thématique centrale du film est celle de l’insécurité. On parle souvent en hexagone de l’insécurité blanche, prétendument ressentie par des populations “de souche” se sentant mal à l’aise lorsqu’elles se rendent dans les espaces perdus de la “République”. Ceux que certains appellent des zones de non droit. On parle très rarement du sentiment d’insécurité que peut ressentir une personne non-blanche, lorsqu’elle se trouve dans un espace majoritairement blanc. Le sentiment d’insécurité qu’une femme ou qu’un homme noir peut ressentir à la simple vue d’un agent de police. Ce malaise. et cette crainte sont assez bien retranscrite dans la scène du contrôle de police.

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Paradoxalement, au cours de cette scène, Rose feint de vouloir défendre Chris en usant de son privilège blanc. Elle conteste à l’agent la légitimité du contrôle. Ses motivations sont toutes autres. En empêchant l’agent de police de relever l’identité de Chris, elle l’empêche surtout de répertorier Chris dans ses registres. Elle écarte les suspicions dans l’éventualité ou une enquête serait menée quant à la disparition du jeune homme. Il ne s’agit pas d’un acte gratuit de protection, mais plutôt d’un acte intéressé. On peut rapprocher ce comportement à celui des faux alliés et de leur  militantisme de façade.

A son arrivée sur le perron de la maison, Chris est accueilli par Dean Armitage dans un langage vernaculaire et familier. Le beau-père souhaite certainement établir une relation de proximité avec son gendre, mais l’emploi d’expressions telles que « my man » ne fait que renforcer un sentiment d’altérité. Il est dans l’expectative que Chris se liera davantage à lui, si il lui parle en “wesh-wesh”/ebonics. Il crée en fait une distanciation par le langage. Cette distance se renforce à l’allusion de Barack Obama. Dean Armitage n’a pas une interaction d’homme à homme avec Chris. Mais plutôt un échange d’homme à “homme-noir”. “Je ne suis pas un homme noir, je suis un homme … qui est noir” dirait Stevie Wonder. Ironiquement, Dean Armitage pense pouvoir se dédouaner de sa xénophobie supposée en clamant vouloir voter pour Obama #racistedegauche. Il ne fait qu’aggraver les choses.

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Sunken Place et Double Conscience

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La thématique de l’hypnose apparait à l’heure du thé. Pendant cette scène, de nombreuses choses décisives pour le cours de l’histoire se déroulent. Dans un premier temps, la mère de Rose « ancre » Chris avec sa tasse de thé. Elle profite d’un souvenir traumatique relaté par ce dernier pour hameçonner son esprit en tapotant deux fois sur la tasse à l’aide de sa cuiller. Elle observe les réactions de Chris tandis que ce dernier réagit à l’évocation du décès de sa mère (il gratte sa chaise). D’un point de vue écliptique, on peut imaginer que Rose, l’appât, a certainement divulgué l’intégralité des secrets de Chris (addiction à la cigarette, mémoire traumatique) pour faciliter la manipulation mentale dont il sera l’objet.

À quoi sert l’ancrage en hypnose ? À ce qu’il y ait une association entre des pensées, des émotions et des sens. Ainsi, un réflexe Pavlovien apparait chez Chris. Le tintement de la cuiller sur la tasse le fait automatiquement basculer dans les méandres.

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Durant cette même scène, Chris fait la rencontre de Georgina. Une jeune femme noire travaillant comme domestique dans la demeure des Armitage et dont on découvrira plus tard qu’il s’agit de la grand-mère de Rose. Le comportement de Georgina est atypique, et Chris décèle une certaine étrangeté dans son attitude. On réalisera, tandis que l’intrigue se déroule, que Georgina est dans une constante lutte intérieure. A la vue de Chris, elle lutte pour sortir des limbes (Sunken Place) afin de le prévenir des dangers qui le guettent. On la voit tiraillée, le regard hagard, tentant désespérément de prévenir le nouvel invité de quitter les lieux, mais ne trouvant pas la force pour exécuter son plan.

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Se rendant compte du tiraillement de Georgina, la mère de Rose la congédie, et lui intime l’ordre d’aller se reposer. Georgina est visiblement le personnage le plus fort de ce film. Il s’agit du seul personnage à pouvoir lutter férocement contre les limbes (Sunken Place) sans avoir recours au flash photographique. Certainement un cliché de “strong black woman” à la volonté d’acier. Une autre interprétation serait qu’ayant été les premiers cobayes de ces expérimentations “scientifiques”, les grands-parents de Rose n’ont pas pu profiter des avancées majeures de Dean Armitage en matière de “neuro-chirurgie”. Georgina était certainement le premier prototype.

Quoi qu’il en soit, à plusieurs reprises, Georgina tente d’alerter Chris. L’une des scènes les plus frappantes est celle de la double conscience durant laquelle, la femme noire qui sommeille en Georgina fond en larme. Elle est vite rappelée à l’ordre par sa “maitresse” blanche qui la force à esquisser un sourire comme pour pallier/contrecarrer cette émotion de tristesse. Durant cette scène, on entend la conscience blanche de Georgina répéter “non, non, non, non”. Sous-entendu, “non, ne pleure pas”.

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De nouveau,  l’entité blanche ayant pris le contrôle du corps de Georgina ne maitrise les codes de communication intra-ethnique. Lorsque Chris utilise le mot “snitch/poucave”, elle ne comprend. Elle finit part deviner qu’il s’agit du verbe “dénoncer”. La double conscience de l’homme et de la femme noire leur permet de maîtriser un double langage. Celui du “haut” et celui du “bas”.

D’autres actions contradictoires expriment le tiraillement de Georgina. Elle débranche continuellement le téléphone de Chris pour l’empêcher de communiquer avec l’extérieur. Ou serait-ce Rose ? Dans un élan opposé, elle ouvre par deux fois la porte de la pièce dans laquelle Rose dissimule ses photos d’ex. Elle met également en évidence la boîte dans laquelle se trouve ces photos. Georgina est clairement l’incarnation de la double conscience dans le film #dubois

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A la suite de ces événements peu ordinaires, Chris signale à Rose, le comportement inhabituel de  Georgina. C’est à travers cette interaction qu’intervient la thématique de la paranoïa. Un sentiment étroitement lié au racisme. Déni de racisme.  « Mais non, ce n’est pas raciste » « tu délires » c’est dans ta tête » « tu exagères » « tu vois du racisme partout ». Le fait est que Rose remet constamment en question la lucidité et la pertinence des propos de Chris.

Hypnose et Safe Space

(Get the hell out of my mind!)

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Ayant été réveillé par une mouche et ressentant l’envie pressante de fumer, Chris finit par tomber nez à nez avec la mère de Rose. Elle lui propose de s’assoir. Elle colonise son  esprit et décide de s’imposer dans son safe space. Malgré les réticences de Chris à vouloir relater son expérience traumatique et se prêter au jeu de l’hypnose, elle exécute sur lui une séance insidieuse. Tout se fait à l’insu de Chris et la thérapeute profite de l’ancrage précédemment disposée pour se frayer un chemin dans son esprit. Elle n’a cure du safe-space de Chris et de son intimité. Le refus de ce dernier n’a pas d’importance à ses yeux. Cette scène fait selon moi écho  à cette tendance qu’ont les personnes privilégiées /mainstream à vouloir s’imposer dans des espaces dans lesquels elles ne sont pas les bienvenues ou admises #campdetedecolonial

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Le fait de faire abandonner la cigarette à Chris a deux fonctions. S’assurer que le corps de ce dernier soit sain avant l’intervention chirurgicale. Cette idée est d’ailleurs confirmée  lorsque la mère de Rose interdit à Jérémy de se battre avec Chris.  Et ensuite, il s’agit d’un test pour vérifier que le corps soit totalement sous contrôle.

Elle envoie alors Chris dans les méandres, “sunken place”. Il est difficile de définir cet espace mental. Est-ce un lieu d’Aliénation ? S’agit-il d’un espace où notre « noir » intérieur est en somnolence ? Ou pire encore, dans cet état de passivité dans lequel nous nous trouvons lorsque nous nous habituons au racisme et finissons par y être anesthésiés ? Difficile de définir ce concept de “profondeurs”.

Racisme “Scientifique”

Plus tard dans le film, lorsque les préparatifs de la célébration s’agencent. Les convives défilent les uns après les autres et de nouveau le bal des micro-agressions bats son plein. Les remarques racistes sur l’anatomie sexuelle des hommes noirs, la sportivité des basanés et le fameux swing de Tyger Wood sont égrenées sans interruption. Derrière ces remarques se cache la genèse du racisme scientifique développé notamment par des auteurs comme Gobineau #inégalité des races. L’idée selon laquelle les noirs évoluerait dans la sphère physique et les blancs dans le domaine de l’intellect.

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Cette idée renforcée à l’heure du diner lorsque Jérémy, le frère de Rose fait le distinguo entre les sports requérant des facultés stratégiques et donc intellectuelles, aux sports faisant uniquement appel au physique. Cette idée est poussée à l’extrême à la fin du film. Les noirs prisés pour leurs facultés physiques et les blancs pour leurs capacités intellectuelles fusionnent pour créer une race parfaite. Best of both world.  Les cervelles blanches mettent en lumière les corps noirs en les exploitant “intelligemment” . Une forme d’appropriation corporelle et d’eugénisme ne disant pas son nom.

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Ironiquement, le personnage le plus « humaniste » et  « anti-raciste », car ne voyant pas les couleurs,  (racisme de gauche) s’avérera être le plus dangereux et le plus hypocrite. En dépit de sa cécité et de sa condition d’opprimé, car invalide, il fera l’acquisition de Chris pour recouvrer la vue et profiter de ses talents de photographe. Lorsqu’ils sera confronté à sa xénophobie, le color-blind-je-ne-vois-pas-les-couleurs-on-est-tous-pareil, niera en bloque, avançant l’argument selon lequel, le choix des victimes est aléatoire et que l’a race n’a rien à voir là dedans. Bien que les victimes que sont Chris, Georgina, Walter et Logan aient un point en commun. … elles sont toutes noires. #Je-ne-vois-pas-les-couleurs-je-suis-aveugle. #gauchecaviard

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Ce qui est ironique à l’issue du film, c’est que parmi tous les organes convoités par les invités (son membre viril, son swing , ses yeux), Chris parvient à évincer ses assaillants à l’aide d’un organe non prisé. Non convoité. Son cerveau. Toute la fin du film tourne autour de la lucidité de Chris et ses facultés intellectuelles. Le film fait ainsi un pied de nez à la crédence selon laquelle l’homme et la femmes noirs vivraient dans la sphère du physique (sport, danse, musique,) et l’homme blanc dans le domaine de l’intellect. C’est la mort d’un cliché raciste très prégnant selon lequel les noirs seraient moins capables intellectuellement. D’une part à travers le personnage de Chris, mais également par le biais de son comparse Rod, qui officie en tant que TSA et parvient à élucider le mystère de sa disparition et résoudre l’enquête.

Rose et la Fétishisation

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La fétishisation du corps noir passe par deux personnage féminins. Georgina et Rose. Georgina passe ses journées à se mirer dans un miroir afin d’ajuster sa coiffure mais également, pour admirer sa peau. Car la femme âgée et blanche  ayant pris le contrôle de ce corps a enfin l’occasion de s’adonner au penchant du fétichisme. Caresser cette peau noire, toucher ces cheveux duveteux sans crainte de se faire réprimander. Et enfin, vérifier l’adage selon lequel le noirs vieilliraient moins vite. Le fameux « Black don’t crack ».

La fétichisation du corps noir  est surtout symbolisée par le personnage de Rose. Elle collectionne dans sa chambre de nombreux toiles et posters incongrus.

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Cette fétichisation invisible, Rose ne l’exprime jamais à Chris. Son attrait pour la chair noire est d’ailleurs nié le long du film. Lorsque Chris lui demande si elle a déjà fréquenté des hommes noirs auparavant, elle lui rétorque “non”. Elle ne fait aucune remarque déplacée à ce sujet. C’est une fétichisation latente et hypocrite. Elle collectionne les hommes et les femmes noirs comme elle collectionne des trophées. Son cannibalisme sexuel  est souligné par l’anecdote relatée par Jérémy son frère. Il indique que Rose aurait mordu la langue d’un de ses partenaires à l’adolescence.

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On devine que Rose a très certainement exploité la faille affective de Chris ayant perdu sa mère, et évolué dans un milieu majoritairement blanc, pour le dévorer tout cru. On peut imaginer que l’image de la femme noire qu’à connu Chris est une image altérée. Une évocation qui fait ressurgir en lui des souvenirs traumatisants. En somme  Rose a très bien choisi sa proie. Bien qu’ayant chassé Chris avec un fusil de chasse tel un cerf quelques minutes avant l’arrivée de la police, elle n’hésitera pas à jouer la blanche colombe à la vue des gyrophares. La fin du film est jubilatoire.

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Ps : On notera aussi que les invités arrivent tous dans des voitures noires ressemblant étrangement à des corbillards …

Mort de Maurane : « Toutes les Mamas », un titre problématique !

La chanteuse belge Maurane, âgée de 57 ans, a été retrouvée inanimée chez elle le lundi 7 mai 2018 dans la soirée.  La chanteuse doit son succès commercial à son apparition dans la comédie musicale Starmania, mais également à l’un de ses titres phare, « Toutes les Mamas ». En dépit des ses habilités vocale, le titre et le clip qui l’accompagne posent problème. Une question se pose, comment un titre dont le contenu est si malaisant a pu contribuer à la mise en lumière de la défunte artiste ?

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Le Titre de la chanson! 

Pour commencer le titre et l’emploi de l’adjectif « Toutes ». « Toutes » signifie qu’une chose est présente en totalité, que ce soit en nombre, en quantité, ou en qualité. L’adjectif « toutes » renvoie donc à un ensemble. Ainsi, « toutes »  les « mamas » se ressemblent selon Mauranne. Elle n’ont pas le droit à l’expression de l’individualité. Elles appartiennent à un groupe homogène. Elles n’ont pas de personnalité propre.

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Ensuite, l’emploi du terme « Mama » a des résonances avec le terme « Mammy » en Anglais. La Mammy en anglais c’est l’archétype voire le stéréotype de la femme noire dépeinte comme rondelette, modeste, simple et matrone.  On retrouve l’archétype de la Mama dans les fictions telles que “Autant en Emporte le vent”.

Selon Wikipedia : “A mammy, also spelled mammie, is a Southern United States stereotype for a black woman who worked as a nanny or general housekeeper and, often in a white family, nursed the family’s children. The word mammy originated as an alteration of mamma (cough cough), meaning mother.”

Le caractère englobant du « toutes » est confirmer dans le texte. Qu’elle viennent « Des Antilles, d’Afrique, ou de Cuba » les « mamas » sont indissociables. Elles forment un bloc homogène.  Cet essentialisme donne suite à un fétichisme à peine masqué. Selon Maurrane, toutes ces femmes noires seraient nées avec la faculté de danser et chanter. Elles ont le rythme dans la peau, c’est la raison pour laquelle elles « elles ont de l’or dans la voix et se dandinent au soleil sous des paniers d’ananas ». Très certainement ces mamas se vêtissent de ceintures de bananes, ou s’agirait-il plutôt des « boubous de toutes les couleurs ». On notera que pour accentuer le mythe du bon sauvage toujours souriant, on a fait marcher les “mamas” pieds nus dans le clip.

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Le caractère monolithique de ce groupe « uniforme » que sont les mamas, et cet aspect grégaire est de nouveau signifier dans le deuxième couplet avec l’emploi du mot « troupeau ».  Non seulement ce terme retire aux femmes noires venues des « Antilles, d’Afrique -ce grand pays- et de Cuba » leur individualité et agencité, mais en plus leurs corps sont animalisés :

« Toutes les mamas quitteraient volontiers le troupeau d’éléphanteaux »

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Le mythe du bon sauvage se poursuit à travers le texte avec notamment l’allusion au Nègre tout sourire. Contrairement à Mona Lisa, les Mamas ont le sourire à l’endroit. Mythe colonialiste que l’on retrouve dans les campagnes publicitaires de la marque Banania.

Maternalisme bienveillant et infantilisation 

Au-dela des paroles, notons la mise en image tu titre. Dans le clip de Maurane, des femmes Noires défilent sous le regard « admiratif » d’un public exclusivement blanc. Il n’y pas l’ombre d’un visage, asiatique, maghrébin ou noir dans l’assistance. Seules des personnes blanches ont droit de regard sur ces corps noirs. La mise en image a des relents de zoo humain. Le contraste noir blanc crée une distance et un effet surplombant. Les femmes noires sont des objets à observer. Elles sont soumises au white gaze d’un parterre de femmes blanches telles des bibelots.

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Une mise à distance est également opérée par le fait que le visage de certainse de ces femmes apparaissant sur un écran. Cela crée une mise en abîmé mais intensifie également la chosification de ces corps. En insérant un cadre dans le cadre, le clip ne fait que certifier le statut d’objet de ces femmes noires.

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Par ailleurs, la notion d’objet est intensifiée dans la gestuelle. Dans l’une des scènes, Maurane caresse le visage d’une des femmes de la même façon qu’on caresserait le visage d’un enfant ou d’un animal de compagnie.  Une attitude maternaliste  donc et infantilisante, le tout recouvert d’un texte qui se donne des airs de bienveillance.

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Pour résumer, le titre et “Toutes les Mamas de Maurane” est un concentré de clichés exotiques dont font objet les femmes Noires.  La chanteuse belge Maurane, de son vrai nom Claudine Luypaerts, a été retrouvée morte lundi 7 mai dans la soirée, à son domicile de Schaerbeek dans la banlieue de Bruxelles. En dépit du caractère problématique de son titre « Toutes les Mamas » qu’elle repose en paix !

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Audrey Lorde – Il n’y a pas de hiérarchie dans l’oppression.

 

Audrey Lorde 

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« Il n’y a pas de hiérarchie dans l’oppression »

“Je suis née noire et femme. J’aspire à devenir la meilleure version de moi même. De mener la vie qui m’a été accordée. Et contribuer à un changement durable pour cette planète et pour mes enfants.

En tant que femme noire, lesbienne, féministe, socialiste, poétesse et mère de deux enfants, dont un fils étant le fruit d’un couple mixte, je me retrouve souvent dans des groupes dont la majorité me définit comme  déviante, difficile, inférieure ou tout simplement dans l’erreur. Faisant partie intégrante de tous ces groupes, j’ai fini par comprendre que l’oppression et l’intolérance face à la différence se manifeste sous toutes  les formes, aspects, couleurs et orientations.  Que parmi ceux d’entre nous qui visent l’émancipation et l’émergence d’un avenir viable pour nos enfants, il ne peut pas y avoir de hiérarchie dans l’oppression. J’ai appris le sexisme, qui est la croyance selon laquelle un sexe serait intrinsèquement supérieur aux autres et devrait par conséquent les  dominer. J’ ai appris l’hétéro-sexisme – homophobie-, une croyance selon laquelle une forme d’amour serait intrinsèquement supérieur aux autres et devrait par conséquent les  dominer. J’ai appris que ces deux choses découlent d’une seule et même source qui est le racisme. Une croyance dans la supériorité intrinsèque d’une race sur toutes les autres et par conséquent son droit à la domination .

Hmmm, dit une voix tout droit sortie de la communauté noire, «Être noir c’est normal!». Vous savez quoi ? moi, et de nombreuses personnes noires de mon âge se souviennent encore de l’époque où ce n’était pas le cas.

Je ne peux tout simplement pas croire qu’un des traits me caractérisant peut bénéficier de l’oppression d’une autre facette de mon identité . Je sais que les miens ne pourront jamais tirer avantage de l’oppression d’un groupe tierce qui aspire à vivre pacifiquement.  Au contraire, on se fait du mal a soi même en niant à autrui ce que l’on s’est saigné à obtenir pour les siens.

Ces mêmes enfants doivent apprendre qu’ils ne sont pas forcés de se ressembler l’un l’autre afin de travailler ensemble pour construire un monde meilleur.

Les attaques rampantes à l’encontre des lesbiennes et des gays ne sont que les prémices des attaques incessantes à l’encontre de tous les noirs. Peut importe la forme que prend l’oppression dans ce pays, les noirs constituent des victimes potentielles. Et c’est faire preuve d’un cynisme sans ambages que d’encourager les membres de groupes opprimés de se faire la guerre mutuellement. Tant que nous serons divisés à cause de nos différences, on ne pourra se fédérer pour acter concrètement sur le terrain politique.

Au sein de la communauté lesbienne je suis Noire, et au sein de la communauté Noire je suis une lesbienne. Toute attaque à l’encontre des noirs concerne les gays et lesbiennes. Parce que moi-même et des milliers de femmes Noires faisons partie de la communauté lesbienne. Toute attaque à l’encontre des gays et lesbiennes concerne les noirs, car des milliers de lesbiennes et de gays sont noirs.

Il n’y a pas de hiérarchie dans l’oppression !

Ce nest pas un pure accident que (the family Protection Action) l’acte de protection familiale ( La loi visant à la protection de la famille) soit simultanément  virulent à  l’égard des femmes, soit anti-noirs et anti-gays. En tant que personne noire, je sais qui sont mes ennemis. Et quand le KKK se rend à la court de Detrroit pour forcer le rectorat de retirer des livres sous prétexte qu’ils font allusion à l’homosexualité , alors je sais que je n’ai pas le luxe de choisir une forme d’oppression sur une autre.

Je ne peux pas ne permettre de croire que le droit à l’intolérance peut être détenu par un groupe spécifique. Et je n’ai pas le luxe de pouvoir choisir les fronts sur lesquels mener la lutte contre les discriminations peu importe la forme qu’elles prennent  pour me détruire.

Et quand elles tenteront de me détruire, il ne faudra pas longtemps pour qu’elles tentent de vous détruire à votre tour. “

Traduction du texte d’Audrey Lorde, There is no hierarchy in oppression

Traduction par Docteur Gang

Queen Sugar, Paradigme Sucrier et Colorisme.

Article rédigé avant la sortie de la deuxième saison

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Queen Sugar est l’adaptation en série d’un roman de Natalie Baszile publié en 2014. La série est diffusée sur le réseau OWN, propriété d’Oprah Winfrey. Elle fait état du dilemme auquel sont confrontés Nova, Charley et Ralph Angel suite à l’acquisition des terres de leur défunt père

Je suis tombé sur la série par hasard et sans aprioris. Au fil des épisodes je me suis attaché aux personnages et je me suis trouvé happé par l’intrigue sans forcément interpréter le contenu. Les tensions familiales de Charley, Nova et Ralph Angel sont monnaie courante. Pourtant, en y regardant de plus près, et au-delà des querelles entre frères et sœurs, la série aborde une thématique bien plus politique. Celle du privilège du patrimoine et du paradigme sucrier.
Certains dans mon entourage, plus ou moins proche, se targuent d’avoir hérité d’un pécule ou d’un bien immobilier légués par leurs parents. Ils ne considèrent pas ce lègue comme un privilège. Au contraire, le fait d’avoir une résidence secondaire, ou d’être propriétaire tout court, coule de source pour eux.

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Queen Sugar, à travers une intrigue d’apparence quelconque, pose la question de l’acquisition du patrimoine sur terre d’esclavage. Une acquisition qui suppose colorisme et rapport monopolistique. Dans son essai intitulé « Le Sucre et les Larmes », Pierre Dockès, fait état des rapports de force intrinsèques au paradigme sucrier. Il aborde le sujet de la stratification ethnique et du monopole imposé par les compagnies trust. Selon lui, dans l’industrie du sucre post-esclavagiste, « la main-d’œuvre de l’usine est formée de travailleurs plus qualifiés que la main-d’œuvre agricole. Elle comprend essentiellement des Noirs descendants d’esclaves ou des mulâtres, des cadres souvent métis, des ingénieurs et des directeurs blancs gèrent cette entreprise. La distinction entre la main-d’œuvre agricole et la main-d’œuvre usinière se creuse à la fin du XIX siècle » – Pierre Dockès P172.
Dans la première saison de Queen Sugar, nous comprenons à demi mot que Charley est une fille “illégitime” et qu’elle est la demi-sœur de Nova – D’où la rancœur éprouvée par Nova à l’égard de sa cadette. Sans même entrer dans les détails, on constate que Charley, la plus claire de la fratrie, est celle qui bénéficie du privilège financier le plus influent. Elle finance l’intégralité des dépenses liées à la rénovation de la ferme. À la manière des “métis” mentionnés par Dockes, elle est également la patronne qui emploie des ouvriers latinos dont elle ignore les noms. Dans la pyramide économique de la série, on retrouve donc les Boudreaux, descendants de maitres (blancs), au sommet, puis Charley (métisse 1) qui jouit d’un portefeuille assez conséquent grâce aux activités sportives de son ex époux, et enfin aux pieds de la pyramide, Nova et Ralph Angel qui peine à joindre les deux bouts (noirs).

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« Partout où la traite et l’esclavagisme ont été présents, les rapports sociaux et politiques (…) ont été durablement marqués, tous ont été éthnicisés ». Cette pyramide de privilèges et d’autant plus rigide que dans de nombreux cas les propriétaires d’esclaves ont été indemnisés.

On notera que ce privilège financier sous-tend également un rapport de dépendance et de domination. La famille Bordelon dépend des propriétaires de moulins, Boudreaux, qui s’avèrent être blancs. Charley doit donc travailler d’arrache-pied pour ne pas avoir à se plier à leur monopole et leurs désidératas. Quant à Ralph Angel, il dépend de la contractualisation de Charley pour être aux normes carcérales.

Charley

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Ayant discuté de la série avec mes amis, ils me décrivent Charley comme une « control freak ». Un personnage pensant pouvoir solutionner tous les problèmes par la biais de l’argent. Bien que n’étant pas exempte de tous reproches, l’esprit revanchard de Charly est compréhensible. Pour ma part, je relativise ses motivations et m’explique.

On parle souvent de la période esclavagiste et de la période post esclavagiste. Mais qu’en est il de la période de battement séparant les deux? Quels recours avaient les esclaves fraichement émancipés ? Sans patrimoine, sans logement , sans épargne ? A quoi étaient-ils voués, confrontés ? Quels étaient leurs recours une fois « libérés »? Retourner travailler au prix d’un maigre salaire sur la plantation de leurs anciens bourreaux ? Toujours dans son ouvrage, Dockès explique qu’à la suite d’une libération durement arrachée, furent décrétées des lois au racisme à peine voilé. En 1852, un décret sera voté en Guadeloupe et en Martinique faisant du vagabondage un délit, « étant entendu que sont considérés comme vagabonds tous les anciens esclaves qui ne sont pas à la grandes culture ». P149.

 

En d’autres terme, ce décret est une assignation à ratiboiser la canne de l’ancien exploiteur. C’est une légalisation escamotée d’un retour à une nouvelle forme de domination. Dans ce contexte, on comprend donc que la période de latence n’était pas une sinécure.
Lorsque sont révélées les conditions dans lesquelles les terres Bordelon ont été acquises, les motivations de Charley ont davantage de sens. Bien que n’ayant pas lu le livre, la série m’a fait réalisé l’importance du rapport à la terre et au sol. Les aïeuls de Charley ont dû payer à la sueur de leur front et de leur sang la terre qui lui revient aujourd’hui.

Monopoles et Trusts

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Les firmes géantes et les trusts monopolistes qui souvent entretiennent des accointances avec les banques d’affaires comme JP Morgan, usent et abusent des avancées techniques, mais ont surtout recours à des pratiques frauduleuses « voire à la violence économiques » (Dockès p189) à la façon des patrons voleurs de la série. En dépit des lois anti-trust votées à la fin du 19ème siècles et qui sont censées lutter contre la concurrence déloyale subie par les PME et les petits propriétaires, on peut constater à travers la représentation faites dans la série, qu’aujourd’hui encore, les pressions et intimidations restent vives. Ces pratiques mafieuses étaient récurrentes en 1907, 1910 et 1912 pour L’American Sugar Refining Company.

Une autre méthode utilisées par les trusts consistent à racheter de plus petites entreprises pour ainsi former des « partenariat ». Une forme de cooptation et de colonisation, appelée « intégration verticale ». Cette méthode du rachat est souvent pratiquée auprès de propriétaires ne possédant pas le capital nécessaire pour gérer leur terres ou s’équiper. Ceci est est très bien exposé dans la série avec l’exemple du moulin et des tracteurs détenus par la famille Boudreau.
L’extrait suivant tiré de la Saison 1 résume assez bien la situation « When you consider that they control all the mills and the refineries and the best lands. It’s clear. It’s their world. And we’re just surviving in it. They have everyone by the balls. And your daddy spent his last years trying to figure out a way to get out from under them. Just the way you do it right now ….”

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Pour conclure, on peut dire que le paradigme sucrier, comme bien d’autres paradigmes, « est un système hybride, fruit du capitalisme de la grande industrie et de l’héritage économique, mental et sociétal de l’esclavage »  toujours selon Pierre Dockès (p170).

1 ) ceci est une supposition et l’information reste à confirmer dans la nouvelle saison.

Toutes les citations sont extraites de l’essai de Pierre Dockès, “Le Sucre et les Larmes”

Le Docteur Gang Du Rap Game

docteurgangC’est parti, je trempe ma plume dans l’encre et me lance dans l’écriture d’un blog. Blog musical orienté rap mais pas que …

L’objectif est d’exprimer mon avis sur des artistes, et ce, sans langue de bois. Sans les caresser dans le sens du poil et sans non plus les descendre en flêche. L’objectif ici n’est pas d’aligner les diatribes mais plutôt de proposer MON regard sur des oeuvres que j’apprécie somme toute.

Ce blog a pour vocation de mettre en lumière des talents issus du « sous underground ( cf : l’underground de l’underground ) et de ce que certains appellent « la nouvelle scène » .

Rejoignez-moi dans cette aventure qui je l’espère sera grande.